L’auteur d’En attendant Bojangles – mon livre fétiche de tous les temps, je sais, vous le savez – prend un virage à 360 degrés avec ce troisième roman. Olivier Bourdeaut subjugue avec ce conte cruel écrit avec un ton délicieusement grinçant, par cette héroïne incontrôlable et attachante, au comportement explosif…

L’histoire se déroule au Sud-Est des États-Unis, un pays de gagnants. Acculée par sa mère, Elizabeth Vernn, du bas de ses sept ans, se retrouve propulsée dans le monde des Mini-Miss America. Elle découvre bien avant l’âge l’épilation, les paillettes, le maquillage, les faux cils – elle a échappé de peu aux injections de botox -, les regards insistants.
Ma mère me disait que j’étais très belle et que je n’étais pas trop bête. L’ordre des compliments est important, la forme aussi.
Mais Elizabeth, aussi jeune soit-elle, sait déjà ce qu’elle veut et surtout ce qu’elle ne veut pas. À savoir, être le jouet d’une mère obsédée par l’apparence, une poupée sans cervelle, l’objet constant du jugement de personnes dont elle n’a rien à foutre, une bête à concours aveuglée par les feux pleins d’exigence des projecteurs. Alors elle va partir en vrille, littéralement – comme disent les américains – et décider de reprendre ses droits sur ce corps avec lequel on avait trop longtemps joué.
J’ai douze ans et demi et j’ai déjà besoin de tout reprendre à zéro, ça ressemble furieusement à un faux départ.
Pour redevenir souveraine en son royaume, elle va choisir de le transformer à sa guise : de la prise brutale de poids à la gonflette en passant par le régime surprotéiné, le rasage de crâne et la défonce. D’années en années, Elizabeth, alias Florida, va se métamorphoser, jusqu’à en devenir méconnaissable. Tous les moyens sont bons pour emmerder la Reine Mère et son Valet, ses parents qu’elle rêve de voir morts.
J’ai été fascinée par ce roman. Je me demandais jusqu’où Elizabeth allait aller dans sa vengeance. Être dans sa tête, dans son corps, à travers cette narration à la première personne, était une expérience à part entière. J’ai subi avec elle ces changements incessants sur sa physionomie, ses pétages de plomb, tout en assistant, tendue et impuissante, à sa lente dégradation, cette descente aux enfers à laquelle elle donnait elle-même l’impulsion. Angoissée par ce qu’elle pouvait faire, ce qu’elle allait bien pouvoir trouver pour tout saboter, j’ai suivi, comme hypnotisée, le chemin de cette petite bombe si imprévisible et insensée, prête à exploser à tout moment. Et cet ange au regard perçant, cette tête de mule, cette tête à claques, cette sale peste, cette ingrate, cette pourrie gâtée, m’a complètement conquise. Certains passages où elle montre qu’elle ne se laissera plus faire, certaines punchlines qu’elle balance à tout va, sont jouissifs. Son cynisme et sa lucidité me fascinaient.
L’auteur nous livre en filigranes une critique féroce des envers de décors, de l’empire des apparences, de ce qui est dissimulé derrière tout ce qui brille, de l’absurdité de concours où de petites filles sont jetées hors de leur enfance, mais aussi, du monde de l’art contemporain et de ceux qui règnent en maître sur les goûts des autres – mention spéciale pour le magique gérant de galerie, Agatha Christik.
Cher Monsieur Bourdeaut, vous avez déjà le don de vous renouveler, de nous emmener là où on ne vous attend pas, de surprendre votre lecteur. Vous m’avez fait rire et pleurer avec En attendant Bojangles, vous m’avez fait frissonner avec Pactum Salis, vous me scotchez à présent avec Florida. C’est fascinant, glaçant, brillant et merveilleusement déstabilisant. Bravo !
Florida d’Olivier Bourdeaut, Éditions Finitude