Après avoir lu Ma Reine, Cent millions d’années et un jour, j’ai eu le plaisir de découvrir Des diables et des saints, le dernier roman de Jean-Baptiste Andrea – au moment où j’écris ces lignes, j’apprends qu’il vient de décrocher le Prix RTL-Lire, whaouh ! – paru en janvier dernier.

Joseph, alias Joe, s’en souviendra, de cette année 1969. Il perd ses parents et son insupportable sœur dans un accident d’avion, sous ses yeux. Il apprend l’existence du troisième homme, celui dont personne ne se rappelle jamais quand on évoque le premier équipage à avoir jamais embarqué pour la lune. Et cette année, encore, il entre aux Confins, un orphelinat tenu par des religieux, avec en tête, le redoutable et inhumain abbé Sénac. Il y fait la connaissance de Souzix, Sinatra, Edison, Momo ou encore Fouine, des gamins qui vont l’aider, en partageant avec lui leur triste histoire, leurs rêves, leurs secrets, à lui faire oublier qu’il est là alors qu’il y a peu de temps encore, il avait une famille, un professeur de piano qui ne jurait que par Beethoven et piquait des colères noires à en faire trembler les murs. Une vie de jeune garçon rêvée, en somme. Il s’en souviendra aussi, de cette année 1969, car il y aura découvert l’amour.
Des diables et des saints est un roman bouleversant sur l’enfance abîmée, livrée à elle-même, en proie à l’injustice des adultes – je n’avais pas été autant révoltée par une lecture depuis Oliver Twist, il y a quelques milliards d’années… C’est un roman sur l’amitié qui naît dans l’épreuve. Un roman sur les premiers sentiments.
Un roman sans la moindre fausse note porté par une bande de gamins attachants. Partageant leur quotidien, nous sommes aussi écrasés qu’eux par la terreur d’éveiller les soupçons de Grenouille ou de Sénac, par cet endroit lugubre, par cette solitude qui plane sur leur tête comme une épée de Damoclès. Porté, aussi, par un certain suspense – car des mystères aux Confins, il y en a, autour de ce Danny par exemple, qu’ils évoquent à demi-mots lors de leurs réunions à la Vigie.
Après avoir terminé Des diables et des saints, j’ai cette impression d’être restée en apesanteur, de flotter à mille mètres d’altitude, de m’être réellement arrachée à mon monde pour entrer dans l’univers imaginé par l’auteur. L’auteur a le don de nous plonger et de nous figer dans une atmosphère à nulle autre pareille. Et c’est une des choses que j’aime tout particulièrement dans les romans de Jean-Baptiste Andrea.
Emparez-vous de ce superbe roman. Laissez-vous embarquer par une écriture, une atmosphère. Vous ne serez pas déçus du voyage…

J’ai eu la chance immense de poser quelques questions à Jean-Baptiste Andrea – que je remercie encore mille fois pour son temps ! Voici ses réponses…
Des diables et des saints est votre troisième roman. Avez-vous changé vos méthodes d’écriture, votre manière de travailler entre l’écriture de Ma Reine et celle de celui-ci ?
Pas la méthode de travail, non. En revanche la technique doit évoluer et je recherche à la fois une complexité accrue dans la construction – en fragmentant le récit comme une mosaïque par exemple, un peu plus à chaque roman – tout en restant très attaché à ce que cette complexité, et cette technique, ne se voient pas. Elles seront perçues inconsciemment. Ou pas du tout !
Vous êtes vous inspiré d’un endroit qui existe réellement pour imaginer l’orphelinat des Confins ?
Oui, mais je n’ai jamais vu cet endroit, j’en ai entendu parler par quelqu’un pendant vingt minutes, et j’ai imaginé entièrement les Confins sur l’idée que je m’en faisais. C’est la version fantasmée d’un lieu réel. De plusieurs, même, car ces endroits se ressemblent tous.
On pourrait imaginer, à la lecture du titre, être précipité dans un monde manichéen, mais non. Comme dans la vie, tout n’est pas si blanc, si noir. Nul n’est totalement diable, nul n’est foncièrement saint. Était-ce votre intention de décrire un monde éloigné de tout manichéisme ? Une sorte de métaphore de notre Humanité ?
Le titre est bien sûr ironique. Il s’oppose á une vision manichéenne de la société. Le paradoxe étant que le monde séculier peut se montrer plus manichéen encore que les milieux religieux.
Votre narrateur, Joseph s’exprime à deux âges différents de sa vie. Il utilise le « vous » comme s’il s’adressait directement à nous, lecteurs. Souhaitiez-vous faire de nous d’autres confidents pour Joseph, à l’instar de Michael Collins ?
Exactement. Je voulais entraîner le spectateur dans l’histoire comme on agrippe quelqu’un par le col, sans lui laisser le choix. Je savais que cette adresse au lecteur en dérouterait certains, en effraieraient d’autres. C’est presque une façon pour le héros – donc moi – de dire aux lecteurs: « si vous n’êtes pas prêts pour cette aventure, arrêtez maintenant ». Heureusement, la majorité accepte de se laisser malmener un peu.
Quel est le personnage pour lequel vous avez le plus de tendresse ? Celui que vous détestez le plus ? S’il y en a !
Ce que je déteste, c’est quand un auteur déteste ses personnages. Je n’en déteste donc aucun, même les plus noirs, parce que j’ai le luxe de ne pas être leur victime et que je peux explorer les raisons de leurs égarements, sans pour autant leur donner des excuses. Quant aux pensionnaires, je les aime tous. J’ai une tendresse normale pour Souzix et Momo dans les personnages secondaires. Et bien sûr Joseph. Et Sinatra. En fait, je les aime tous. Sinon je ne les aurais pas écrits.
Aviez-vous imaginé plusieurs sorts pour chacun des gamins de la Vigie ? Ou aviez-vous, dès le début, une idée précise de leur trajectoire de vie, de leur destinée ?
Non je ne me lance dans l’écriture qu’une fois un plan précis construit. Quand j’écris le premier mot, je connais le ton des derniers. Je sais comment chaque moment ou détail s’inscrit dans le tout.
J’ai été particulièrement secouée par l’histoire du torero et du taureau blanc. Est-ce une « vraie légende » ? Ou l’avez-vous inventée ?
Merci, elle me tient très à cœur. C’est une histoire que j’ai inventée. C’est une miniature dans laquelle est contenu le thème de ce livre, à savoir la pauvreté sensorielle de l’homme vis-à-vis de son environnement, que cet environnement soit autrui, la nature, les autres espèces, les galaxies qui nous entourent. De nombreuses miniatures similaires composent ce récit – c’est la fragmentation dont je parlais plus haut. Cette histoire-là m’est d’autant plus chère que je suis complètement anti-corrida. Je voulais changer le regard que l’on porte dessus, parce que c’est souvent en changeant d’angle de vue qu’on se transforme soi-même. Je ne me fais pas d’illusion sur l’impact de mon histoire sur la pratique de la corrida, mais c’est ma goutte d’eau dans l’océan.
Parlons musique à présent. J’imagine que Beethoven figurait dans la bande-son de vos instants d’écriture. D’autres mélodies vous ont-elles accompagné lors de l’écriture de ce troisième roman ?
Je suis fou de musique classique, mais je n’en écoute quasiment jamais en écrivant. C’est comme si on me demandait de jongler en conduisant, je n’arrive pas à faire les deux. Pour être honnête, je ne sais pas non plus jongler même quand je ne conduis pas.
J’ai pris l’habitude de demander aux auteurs que j’ai la chance d’interviewer, leur dernier coup de cœur littéraire ou une recommandation chaleureuse. En auriez-vous une à nous suggérer ?
N’importe quel livre de James Baldwin. Ou La Chambre de Giovanni, pour commencer quelque part.
Et pour terminer… Pensez-vous déjà au quatrième roman ?
Je ne sais jamais s’il y aura un autre roman, je ne veux pas – et ne pourrais pas même si je le voulais – produire. J’attends qu’une histoire me dise « Raconte-moi ». Je ne peux rien forcer. Je le sais, parce que j’ai essayé !
Des diables et des saints de Jean-Baptiste Andrea, Éditions de l’Iconoclaste