Quelques questions à Victor Pouchet

J’ai beaucoup de chance en ce moment de pouvoir poser des questions aux auteurs de romans qui m’ont tant plu ! Aujourd’hui sort en librairie le nouveau roman de Victor Pouchet – auteur notamment de Pourquoi les oiseaux meurent – chez Finitude : Autoportrait en chevreuil, dont je vous faisais l’éloge ici-même.

Je le remercie vivement de ses réponses que je vous laisse à présent découvrir !

Pouvez-vous nous parler de la genèse de votre roman ? Comment avez-vous eu l’idée de cette histoire ?

L’idée m’est venue un jour d’août 2017. À l’occasion d’une étape du « tour de France à pieds » entrepris avec deux amis, le hasard nous a conduits dans une forêt bretonne. Aux pieds de menhirs et de dolmens, un homme était occupé à brancher des appareils électriques. Il se présenta comme magnétiseur et nous expliqua qu’il cherchait à capter des forces et présences invisibles et à « enregistrer les ondes scalaires ». J’étais fasciné par son discours très étrange sous des apparences scientifiques. Nous avons passé deux heures avec lui, il m’a laissé sa carte puis nous sommes repartis. Je me suis demandé ensuite ce que ça ferait d’avoir un père comme lui. À quoi ressemblerait une enfance baignée dans ce type de discours et de croyances. C’est là que le roman a commencé à naître dans mon esprit : j’avais envie de raconter l’histoire d’Elias, le fils du magnétiseur.

Comment vous êtes-vous informé sur les ondes, les bâtons d’Horus, animaux-totems et autres champs scalaires ? Étiez-vous déjà familier de ces sujets ?

Je n’étais pas familier de tout cela, mais cela m’intéressait, je crois que cela m’aimantait pour prendre une métaphore qui plairait aux magnétiseurs. Je me suis un peu dit comme l’abbé Pluche en son temps : “Je ne sais rien sur ce sujet, il est temps d’en faire un livre.” En fait, je suis parti du discours de cet homme rencontré dans la forêt, qui m’avait mis des « bâtons d’Horus » dans les mains et que j’ai interrogé sur un certain nombre d’éléments. Après cela, j’ai lu, j’ai écouté des émissions consacrées aux guérisseurs, je m’intéressais déjà un peu au chamanisme et aux animaux, à la chasse, j’ai suivi des fils. Cela m’aidait que le point de vue soit celui d’un enfant (devenu adulte) qui se souvient des pratiques de son père. Lui, tout comme moi, n’est pas un expert de ces questions, il en garde des traces, qu’il réinvente en partie.

Qu’est-ce qui vous intéressait dans cette figure de magnétiseur et dans les ondes ?

J’ai tourné dans ce livre autour de la question de la croyance. À quoi peut-on croire ? Quels discours suivre ? Peut-on croire dans les ondes, dans les transes animales, dans la sauvagerie, dans l’hypnose, dans les coupeurs de feu, en Dieu, en l’amour, en la dangerosité du sucre ? Comment aussi ces croyances nous accompagnent, nous constituent et parfois aussi nous fragilisent ? Comment tout cela, les discours, les pensées qui nous traversent s’impriment dans un quotidien et dans la nature ? Je voulais passer par la question des ondes pour évoquer la présence de l’invisible dans une existence : l’invisible des ondes est une première strate, mais il s’agit aussi de l’invisible du passé qui continue à peser sur le présent, de l’invisible du feu, de l’invisible des sentiments qui nous relient aux autres.

On ne sait pas exactement où se situe votre histoire, ni quand (même si on imagine qu’elle a lieu de nos jours). Avez-vous voulu brouiller ces pistes ? Ou offrir au cadre de cette histoire des contours spatiaux-temporels flous, afin de renforcer son universalité ? 

Quelques éléments (dans la deuxième partie) permettent de dater cette histoire (aujourd’hui) et de la situer plus ou moins (on passe par Ouessant, la presqu’île de Crozon, nous sommes dans le Finistère). Mais je retiens l’idée d’une certaine ouverture : certains coins de cette côte bretonne ressemblent à la méditerranée ; et il y a des guérisseurs depuis presque toujours dans nos campagnes et dans nos villes (cette pratique, contrairement à ce qu’on pourrait penser, ne s’est jamais vraiment perdue, malgré les diverses influences de la « modernité »). Les choses se racontent par la voix de ceux qui les vivent, ils ne ressentent pas le besoin de dater ce qui leur arrive ni de souligner un paysage qui néanmoins les marque profondément. Cela pourrait donc se passer ailleurs et à un autre moment, et j’espère aussi qu’on peut reconnaître d’autres enfances dans cette enfance (car ces blessures, espoirs et craintes, de nombreuses enfances en portent une trace). Je crois cependant (mais je ne sais pas bien en quoi) que ce que traversent les personnages est lié à une forme d’inquiétude et d’hésitation propres à notre temps.

La structure en trois parties s’est-elle imposée d’elle-même ?

J’ai commencé par écrire la première partie, celle d’Elias, à la première personne. Il revient sur « ses trucs de l’enfance » et parle aussi de ce qu’il est aujourd’hui, et notamment d’Avril, la fille qu’il a rencontrée il y a peu. Leur histoire d’amour va faire basculer les choses mais Elias semble avoir quelque chose à ne pas dire, être habité par un drame souterrain. Il s’échappe aux regards, tel un chevreuil. Son mystère ne pouvait donc être tout à fait cerné par ses propres mots. Je me retrouvais donc coincé dans l’écriture. J’étais prêt à abandonner Elias à ses silences quand l’idée m’est venue de l’approcher par d’autres biais, de l’observer de l’extérieur et de faire parler Avril dans une deuxième partie. Par la voix plus légère et plus ancrée peut-être de son journal intime, nous la découvrons plus directement et nous avons accès aussi à un autre point de vue sur ce jeune homme à la fois très étrange et très normal (pour autant que ce mot veuille dire quelque chose). Une troisième partie laisse la parole au père. Ce personnage, central dans l’enfance d’Elias, présent jusque-là uniquement à travers les yeux du fils, résout en quelque sorte une part de l’énigme. L’image de ce père change. À plusieurs reprises donc, le regard se décale et ces variations m’importent : il n’y a pas de vérité fixe sur une existence, mais plusieurs versions qui dessinent à un moment donné une image. Peu à peu, un portrait de chevreuil prend forme entre les branchages.

Avez-vous été tenté de céder la parole à Céline ou à Ann, à travers une quatrième partie ?

Pas vraiment. Comme quand on assemble un ancien puzzle retrouvé dans une maison de famille, il y a souvent des pièces manquantes.

Un troisième roman en perspective ?

Oui, il y a un truc qui commence, assez différent de celui-ci. Mais je ne peux pas vraiment en dire plus, car je suis encore dans la forêt, je cherche mon chemin.

Question bonus (et difficile) : si vous deviez conseiller UN roman aux lecteurs de cette interview pour leur valise d’été, ce serait…? 

Je suis parti avec un livre de poèmes de Fernando Pessoa, Le Gardeur de troupeaux (traduit par Armand Guibert, Nrf, Poésie / Gallimard). On y trouve notamment ce poème, qui me semble idéal pour l’été :

Léger, léger, très léger,

un vent très léger passe

et s’en va, toujours très léger ;

je ne sais pas, moi, ce que je pense

ni ne cherche à le savoir.

Autoportrait en chevreuil de Victor Pouchet, Éditions Finitude, sortie en librairie le 20 août 2020