Prix du Meilleur Roman Points #10 : « Les Enfants de cœur » de Heather O’Neill

Ultime lecture faire dans le cadre du Prix du Meilleur Roman des Éditions Points, Les Enfants de coeur, troisième roman de l’autrice canadienne Heather O’Neill est à l’image de ce que fut ma participation à ce Prix : une belle aventure.

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Nous sommes à Montréal, pendant la Grande Dépression – une période qui, comme son nom l’indique, a jeté des populations dans la pauvreté en même temps que dans une profonde mélancolie.

Marie et Joseph, rebaptisés Rose et Pierrot, grandissent dans le même orphelinat tenu par des religieuses et tombent amoureux dès l’instant où leurs regards se croisent.

Mesdames et messieurs, je porte un toast à une fille que je connais depuis toujours. On nous a laissés, bébés, dans le même orphelinat. On nous a couchés dans des berceaux voisins. Et dès que j’ai tourné la tête et que je l’ai aperçue, de l’autre côté des barreaux, je me suis dit : Je vais demander ce bébé en mariage.

En plus de partager un amour inconditionnel l’un pour l’autre, ils ont en commun de faire preuve de dons artistiques exceptionnels : tandis que Rose fait rire ses camarades comme personne et se meut avec une grâce et une agilité à nulle autre pareille, Pierrot se découvre très tôt une aptitude à jouer du piano comme un virtuose autodidacte. Ils forment un duo d’enfants prodiges que de riches femmes fortunées se plaisent à recevoir dans leur salon pour épater leurs amies. Ils se produisent alors pendant quelques mois, semant le bonheur où qu’ils aillent, fuyant ainsi cet orphelinat plein de misère et de solitude. Leur carrière aurait pu continuer ainsi, si la jalousie d’une religieuse perverse et sadique, Sœur Éloïse, ne s’en était mêlée. 

Séparés, chacun mène sa vie en pensant passionnément à l’autre, persuadé de n’être plus que le seul agréable souvenir d’une enfance perdue. Pierrot est adopté par un vieillard milliardaire, avant de retomber à sa mort dans la pauvreté. Il développe alors une addiction pour l’héroïne que son salaire de pianiste au cinéma Le Savoy fait disparaître en fumée aussitôt acquis. Rose trouve un emploi de gouvernante dans la famille d’un homme riche et peu honnête, Monsieur McMahon – dont elle fera tourner, puis perdre, la tête – avant d’être renvoyée. Elle est alors condamnée à jouer dans des films pornographiques pour pouvoir subvenir à ses besoins. Leurs destins poursuivent de trajectoires parallèles et similaires, sans pour autant parvenir à se croiser.

Ils trouvent tous deux du réconfort dans l’espoir de se revoir, mais aussi dans la lecture et la musique.

[Rose] était toujours magiquement, magnétiquement attirée par les livres. Même quand elle ne les lisait pas, elle voulait les sentir, passer ses doigts sur leurs pages ou simplement les feuilleter. Elle n’avait jamais pensé qu’un livre puisse être un secret. Ils étaient écrits pour que d’autres gens les lisent, après tout. Ils n’étaient pas personnels. On pouvait en trouver un autre tout pareil dans une boutique.

On tourne les pages avec frénésie et émotion, suppliant le hasard de faire une bonne œuvre, afin que les jeunes amoureux se retrouvent. Et quand le miracle aura lieu, on sera gagné par l’angoisse, tremblant de peur pour eux, émus et terrifiés à l’idée qu’ils se perdent à nouveau.

[Pierrot] la suivit dans l’escalier. Elle avait l’impression qu’il était son ombre, cousu à elle.

Car leur amour ne rendra pas fou que la Sœur Éloïse, mais aussi une prostitué au nom de fleur funeste, un Mac véreux et un mafieux italien. Elle affolera la Fatalité, en somme…

Le style de l’autrice m’a d’emblée charmée par son infinie poésie, saturé de symboles avec un choix onomastique tout sauf anodin (les prostitués qui portent des nom de fleurs, le Mac McMahon…), l’omniprésence des flocons et des roses comme autant de beaux présages, mais aussi des métaphores exquises qui m’ont arraché tellement de sourires et fait échapper des « oh ! » tendres.

Je me suis attachée à ces deux enfants que la pauvreté et la séparation auront fait grandir trop vite. Je referme ce roman comme une boîte à musique pleine de mécanismes enchantés, de clowns hilarants et désespérants, de prostitués dégoûtantes et attachantes. Avec la tête pleine d’images de moments passés dans les salles de cirques, dans un orphelinat, dans une chambre réchauffée seulement par l’amour. De mélodies entonnées sur un piano qui donnent envie de rire, de pleurer, de danser avec des ours imaginaires et de conquérir le monde.

Merci aux Éditions Points pour cette bulle de bonheur et en particulier à Julie sans qui je n’aurais pu le découvrir – mon exemplaire papier ayant choisi de rester confiné loin de moi…

Les Enfants de coeur de Heather O’Neill (Éditions Seuil en grand format et Éditions Points en petit format)