Prix du Meilleur Roman Points #5 : « État de nature » de Jean-Baptiste de Froment

Je continue de plus belle ma découverte de la sélection du Prix du Meilleur Roman des Éditions Points avec celle du premier roman de Jean-Baptiste de Froment, État de nature, paru en grand format aux Éditions Forges du Vulcain en janvier 2019. 

J’avais déjà eu très envie de le lire à sa sortie, alors quelle ne fut pas ma joie en découvrant qu’il faisait partie de la sélection ! Et je n’ai pas été déçue… 142772_couverture_Hres_0

Nous sommes dans le troisième septennat de la Présidente de la République Française Simone Radjovic, une femme moribonde, aveugle – au sens propre, mais pas au figuré -, affublée du sobriquet mi-affectueux, mi-insultant de : La Vieille.

Toute la politique française est alors occupée par de hauts fonctionnaires tout droit sortis de la prestigieuse École de La Sapience (d’aucuns y reconnaîtront, peut-être, une institution crée en 1945), parmi lesquels, Claude, le redoutable bras droit de la Présidente, – surnommé Le Commandeur -, qui, depuis des années, n’attend qu’une chose : l’heure où il prendra la place du Calife à la place de la Calife.

Toute ? Non ! Car un département oublié, mal aimé, peuplé d’irréductibles bouseux (autre sobriquet attribué cette fois par l’intelligentsia parisienne), la Douvre Intérieure (ne vous fatiguez pas à le chercher sur une carte, il n’existe pas, mais vous fera peut-être, qui sait, penser à un autre, aussi vert que vallonné, situé en Nouvelle-Aquitaine, que l’auteur connaît bien d’ailleurs…) résiste à l’anéantisseur, avec à sa tête, l’exacte opposée de la Présidente : Barbara Vauvert.

Dans cette France gouvernée par un système politique sclérosé, paralysée depuis des années par l’absence de changement, la fuite en avant devant toute tentative spéculaire d’innovation, cette jeune Préfète, bienveillante, dynamique et terriblement populaire s’attire naturellement quelques inimitiés…

Alors quand les rumeurs bruissent que La Jeune sera peut-être celle qui remplacera La Vieille, Claude et ses soutiens de la Gens Claudia, décident de lâcher les coqs… Et leur premier coup d’éclat sera de la faire dégringoler, du jour au lendemain, de son piédestal de Préfète de la Douvre.

– Il me reste à vous saluer. Je vous souhaite, [dit Barbara à son successeur] d’une voix émue, d’aimer la Douvre autant que je l’ai aimée.

Le combat annoncé par le visuel de la couverture du roman peut alors commencer.

Fable grinçante, uchronie satirique, le premier roman de Jean-Baptiste de Froment nous offre une description de l’État français plus vraie que nature. La fiction vient, au détour de chaque situation décrite, irrésistiblement se cogner au réel : les magouilles et les coups bas entre les hommes politiques (fortement bien campés !) confinent au génie de la drôlerie. La langue de bois qu’ils utilisent sans vergogne dans des discours dont on ne voit plus le bout une fois entamés (Claude est un véritable champion en la matière), cette hypocrisie qui règne entre eux, le mépris évident dont ils font montre envers les citoyens… C’est criant de vérité. Et en même temps, prodigieusement original car l’auteur a l’art de s’éloigner du réel en imaginant des situations loufoques : mention spéciale pour la réunion au Spa entre les membres de la Gens Claudia où les cerveaux tournent au ralenti, puis plus du tout au bout de trente minutes ; pour le Discours du Pré proclamé par Barbara Vauvert qui fera date ; ou pour la répression de terroristes-ruralistes, j’en passe et des meilleures…

Jean-Baptiste de Froment est lui-même haut fonctionnaire et ancien conseiller de l’Élysée. On peut donc aisément supputer qu’il a puisé ses sources d’inspiration dans cet univers dans lequel il baigne – mais rappelons, bien entendu, que toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé sont purement fortuites…

Le monde politique est gouverné par la loi du moins hésitant, pensa Claude. Ou du moins, par la loi de celui qui montre le moins qu’il hésite.

Qu’est-ce que j’ai adoré ce livre !

La plume de l’auteur, en plus d’être précise et superbe, est irrésistible. J’ai savouré chacune des phrases de ce roman – j’ai d’ailleurs commencé à noter des citations sur mon profil Babelio avant de m’arrêter, pensant que j’allais finir par recopier tout le livre -, tellement pleines d’une ironie féroce et si jouissive à lire. J’ai énormément ri devant les références à peine déguisées à notre vie politique, notre société, aux médias qui passent au crible de l’interprétation la moindre petite phrase formulée par un politique, se perdant dans mille conjectures.

Même aujourd’hui, les mots avaient un sens, tout de même.

Certaines pages sont à encadrer et à exposer dans chaque bureau, à l’image d’un portrait signé Depardon.

Mes chères compatriotes lectrices, mes chers compatriotes lecteurs, emparez-vous de ce petit bijou d’humour et d’inventivité. Pour ma part, c’est un coup de cœur !

Petit clin d’oeil : j’ai pu faire part de ma lecture à Babelio dans le cadre de leur #LecteurDuLundi ! Très heureuse d’avoir ainsi pu mettre en avant ce roman qui, selon moi, mérite des millions et des milliards de lecteurs !

Capture d’écran 2020-04-18 à 15.02.24

État de nature de Jean-Baptiste de Froment, paru en grand format aux Éditions Forges du Vulcain, en poche aux Éditions Points.