Prix du Meilleur Roman Points #4 : « Le plongeur » de Stéphane Larue

Couronné par les prix littéraires québécois que sont les Prix Senghor 2017, des Lecteurs, des Libraires du Québec 2017, et des Lycéens de Vincennes 2018, Le plongeur, premier roman de l’auteur Québécois Stéphane Larue, avait bien des raisons de traverser l’Atlantique pour atterrir dans nos librairies. Et à plus forte raison, dans l’exigeante sélection du Meilleur Roman des Éditions Points 2020.

Il s’agit d’un récit initiatique que l’on suppose inspiré de la vie de l’auteur, celui-ci travaillant dans la restauration depuis des années. Le fait que le narrateur porte le même prénom que l’auteur – nous ne l’apprenons qu’à la fin du roman, de la bouche d’une personne qui lui est chère – renforce cette hypothèse.

Nous sommes à Montréal, dans les années 2000. Le narrateur est un jeune étudiant en graphisme de vingt ans, dingue de métal et malheureusement, de ces machines à sous qui pullulent depuis peu dans les bars de la ville. Une véritable obsession qui le pousse à systématiquement mettre en jeu le moindre billet qu’il gagne, à demander de l’argent à ses amis comme Marie-Lou et à son cousin Malik qui est comme son ange gardien. Il voit s’accumuler des dettes auprès de son colocataire Rémi – à qui il doit trois mois de loyer – et de ce groupe de métal qui lui a avancé les frais d’impression d’une pochette d’EP qu’il devait illustrer… Cela le force à fuir, continuellement, toute responsabilité : mentir, se défiler, gagner du temps, redoubler de trésors d’imagination pour trouver des prétextes pour mieux mentir, se défiler, gagner du temps… Le narrateur est englouti dans une spirale infernale dont on se demande comment il va sortir.

Ce qui brûlait, c’est tout ce que je touchais. Argent, chums, amies, projets. Tout finirait par disparaître, je le savais. Mais je continuerais à jouer quand même.

Alors quand il est embauché comme plongeur à La Trattoria, un restaurant italien huppé de Montréal, on se demande s’il ne s’agit pas-là d’un énième prétexte pour fuir les bancs du cégep du Vieux où il est censé suivre ses études. Si cette expérience ne va pas être l’occasion d’un nouveau sabotage. Et pourtant, non, Stéphane va prendre goût à cette activité, apprécier d’être un maillon important de la chaîne des services de ce restaurant. Il aime cette cadence folle de la vie en cuisine, impulsée par l’arrivée de clients qui viennent en remplacer d’autres, des repas qui s’enchaînent, des assiettes qui s’accumulent dans les éviers… Il semble vouloir faire bonne impression devant ces chums avec qui il travaille, dont la plupart l’impressionne terriblement : il y a d’abord Séverine la directrice peu commode, les cuisiniers Greg, Bonnie – avec qui il partage sa passion pour le métal -, Bébert et Renaud, Jade la serveuse qui ne le laisse pas de marbre, ses solidaires partenaires de plonge comme Eaton. On partage avec eux les coups de feu, les galères, les engueulades, les beuveries d’après service. Aucun soir ne ressemble à un autre, ce qui fait que, comme eux, on ne s’ennuie pas une seconde.

J’ai eu au départ quelques difficultés à me plonger – sans mauvais jeu de mot – dans ce roman. Je me cognais à chaque expression québécoise, j’étais découragée de ne pas les comprendre et trouvais le rythme assez lent. Le premier chapitre m’a même paru complément obscur – avis aux futurs lecteurs de ce livre, n’hésitez pas à le relire une fois le livre terminé, tout s’éclairera d’un coup ! Mais à partir du moment où Stéphane a débarqué à La Trattoria, je me suis prise au jeu. Tout s’est mis à s’accélérer et je me suis mise à avoir envie d’être avec lui à chaque plonge, de veiller sur lui pour qu’il ne baisse pas les bras, pour qu’il ne se décourage pas devant l’ampleur des taches qu’il devait accomplir, parfois seul. J’ai vite eu envie de ne plus le lâcher d’une semelle, de l’accompagner dans ses sorties avec ses chums du restaurant afin qu’il ne fasse pas trop d’excès, à l’encourager à se détourner des machines à sous à la faveur de ses dessins. Chaque moment de lucidité où il se montrait raisonnable, où il se mettait sérieusement au travail, me mettait en liesse, me donnait l’espoir fou qu’il allait s’en sortir. J’étais comme Malik, prête à tout pour lui venir en aide, le protéger, l’éloigner de ses démons, mais aussi le secouer, le raisonner. Je me suis attachée à lui avec force, comme à un petit frère têtu qui aurait bifurqué du droit chemin. Les mots québécois, quant à eux, ne me faisaient plus peur, au contraire, ils résonnaient dans ma tête dans toute leur poésie et leur musicalité.

Les assiettes, les marmites et les poêles crasseuses ne cessaient de s’accumuler peu importe la vitesse à laquelle je les récurais. Tout ça m’occupait la tête. Étrangement, j’avais l’impression de reprendre le contrôle de ma vie.

Autre aspect qui m’a beaucoup plu dans ce roman : la façon si juste dont le quotidien du restaurant était décrite. Ce rythme effréné est tellement bien rendu, les phrases reproduisent tellement bien les mouvements à mille à l’heure des uns et des autres, que j’étais moi-même gagnée par ce rythme implacable huilé par le stress et l’adrénaline.

Le contraste aussi, avec les virées dans les bars louches, où il découvre ses chums sous d’autres angles à travers leurs propres addictions. Pas aux machines à sous, mais à l’alcool et la drogue… C’est alors un Montréal plus sombre, bien différent de celui sur lequel nous fantasmons depuis l’autre côté de l’océan, que nous découvrons.

J’ai fini ce livre avec beaucoup de nostalgie pour les personnages qu’il m’avait permis de rencontrer, et en particulier pour Stéphane.

J’ai passé un excellent moment de lecture et ne saurais que trop vous recommander de plonger dans l’histoire de ce touchant plongeur.

Je remercie les Éditions Points de me permettre, une fois de plus, de sortir de ma zone de confort livresque, en m’aventurant dans des contrées aussi exaltantes !

Le Plongeur de Stéphane Larue, Éditions Points