Si vous me lisez un peu sur le blog Baz’art (cf. chronique Intra Muros) ou même ici – cf. ma chronique sur Loin (Éditions Albin Michel) – vous savez à quel point j’aime le travail d’Alexis Michalik. En grande fan de ce metteur-en-scène touche-à-et-réussit-tout, j’ai sauté sur l’opportunité de voir Une histoire d’amour, sa nouvelle création qui se joue en ce moment à La Scala, et dont vous pouvez retrouver le texte chez Albin Michel
C’est une histoire d’amour comme il y en a des milliers d’autres, qui démarre comme la plus belle et la plus inattendue des rencontres, l’apprentissage de l’autre, les moments de bonheur et de grâce absolus, puis les jours plus orageux, la naissance de sentiments impossibles à contrôler comme la jalousie, la colère. Et la séparation, insoupçonnable et inéluctable.
Ce n’est pas un hasard si Alexis Michalik a employé cet indéfini pour parler de l’histoire de Katia et Justine. Car dans celle-ci, vous vous reconnaîtrez peut-être. Vous repenserez à cette histoire-ci, à cet amour-là.
Nous suivons les début, suite et fin de celle de Katia (Juliette Delacroix) et Justine (Marie-Camille Soyer). L’une aime les femmes, l’autre va se mettre à les aimer. L’une a une peur bleue de l’engagement, porte sur ses épaules le poids de tragédies familiales avec la mort prématurée d’une mère et l’alcoolisme et la violence d’un père. L’autre est pleine de certitudes, à commencer par celle-ci : elles s’aimeront toujours.
Mais souvent, et malheureusement, dans beaucoup d’histoires, le temps vient s’immiscer et faire son oeuvre, des idées a priori belles viennent faire basculer tout un équilibre : lorsqu’elles décident d’avoir un enfant, elles veulent tenter toutes les deux l’expérience de l’insémination artificielle.
Seule Katia tombera enceinte, une merveilleuse nouvelle qui en entraînera une plus bien tragique et a priori inimaginable : leur séparation. Douze ans plus tard, une nouvelle tragédie les réunira : l’annonce de la récidive de la maladie de Katia, atteinte du même cancer que sa mère.
L’histoire se répète, et peut-être en sera-t-il de même pour l’histoire d’amour ?
Douze ans pendant lesquels il s’en sera passé des choses, là aussi, des choses qu’on n’aurait jamais imaginées. Jeanne (Lior Chabbat, en alternance avec Amélia Lacquemant et Violette Guillon), l’enfant que Justine et Katia étaient censées élever ensemble, aura grandi et dévoré la plupart des plus grands auteurs et les plus grands philosophes. William (Alexis Michalik) aura vu sa carrière toute tracée d’écrivain à succès prendre un violent tournant. Pendant que dehors, les rues résonneront de hashtags comme #JeSuisCharlie et #MeToo (le procédé de l’ellipse offert par les images vidéos est à ce propos terriblement efficace).
En ressortant du théâtre, vous aurez en tête la chanson que les cinq comédiens chantent en guise d’introduction, Et pourtant de Charles Aznavour ou celle de Dalida, C’est l’histoire d’un amour. Vous aurez le coeur gros et ressentirez en même temps, une certaine euphorie. Car c’est là tout le talent, toute la magie des mises en scène de Michalik. Elles vous rendent heureux et mélancoliques, drôlement tristes.
En 1h25, vous allez rire avec les personnages, souffrir avec eux. Rire de l’irrésistible sens du sarcasme de William, souffrir de l’abandon de Katia. Sourire devant la lucidité et l’intelligence rebelle de Jeanne. Avoir les yeux embués devant la cruauté du destin qui vient broyer tous les plans de vie que chacun d’entre eux s’était échafaudé.
Alexis Michalik (assisté à la mise en scène de Ysmahane Yaqini
et Clémentine Aussourd) signe là une magnifique ode à l’amour, avec des comédiens exceptionnels qui campent des personnages sincères et authentiques fuyant tous clichés, avec des mots qui nous parlent et nous serrent le coeur. Le tout sublimé par une bande originale que l’on aimerait entendre encore et encore, des danses (assurées par Pauline Bression) envoûtantes.
À vous qui le connaissez peut-être, vous retrouverez des thèmes chers au metteur en scène comme l’héritage et son fardeau, ce rythme inégalable qui ne souffre aucun temps mort, ce mélange implacable d’émotions qui nous font passer du rire aux larmes. Les décors (réalisés par Juliette Azzopardi) qui se meuvent en un claquement de doigt, nous faisant passer d’une chambre d’hôpital aseptisée à l’intérieur intime d’une chambre.
On savourera aussi de voir le metteur en scène sur les planches, après huit ans d’absence. Il est heureux d’être de retour et ça se voit ! Vous aurez aussi le loisir de l’entendre chanter (et bien).
Et de vous dire… Mais comment fait-il ?
Courrez à l’une de ces représentations exceptionnelles avant que la troupe ne s’envole vers d’autres horizons ! Et en attendant, je vous invite à découvrir son texte chez Albin Michel dans toutes les plus chouettes librairies.
Prolongations ! Jusqu’au 31 mai 2020 à la Scala, 13, boulevard de Strasbourg, 75010 Parisdu mardi au samedi à 21h, le dimanche à 15h.