Une couverture frappante, sublime. Une primo-romancière que je suis depuis un moment sur les réseaux sociaux. Une maison d’édition que j’apprécie beaucoup – et que je remercie au passage pour la découverte. Un titre qui bouleverse d’emblée. Elles étaient nombreuses les raisons qui me donnaient envie de lire À crier dans les ruines, d’Alexandra Koszelyk, paru lors de la dernière rentrée littéraire aux Forges du Vulcain.
Léna et Yvan grandissent à Pripiat, en Ukraine, à 3 km de la centrale nucléaire de Tchernobyl autour de laquelle gravite toute activité. Les deux adolescens savourent les moments qu’ils passent ensemble à discuter littérature et bruits de la Nature, s’aimant avec l’insouciance des jeunes de leur âge, malgré les différences sociales qui les séparent.
Un bonheur un peu trop beau, soufflé par l’explosion d’un réacteur, à l’aube du 24 avril 1986. Quelques heures plus tard, il n’y a, pour Dimitri, le père de Léna, ingénieur à la centrale et plus que tous conscient de la tragédie qui s’annonce, pas une minute à perdre. Il faut fuir avant que la région ne se vide de ses quarante mille habitants, que ses bêtes ne deviennent folles et ne soient abattues, que la terre s’imprègne de mortelles radiations. Que Pripiat devienne la Zone, une ville fantôme. Léna, ses parents, sa grand-mère Zenka, quittent donc précipitamment Pripiat avant que le chaos ne s’installe, et rejoignent Kiev en bus. Direction : la Normandie, en France. Les deux adolescents n’ont que quelques minutes pour se dire au revoir, se promettant de se revoir bientôt. Ce n’est qu’au terme du trajet que le Dimitri dira à sa fille ces mots incompréhensibles : Nous ne reviendrons jamais.
C’est le début pour Léna d’un exil de vingt ans, s’éloignant physiquement d’Yvan qu’elle croit mort, et moralement de ses parents, désespérée de les voir si vite faire le deuil de l’exil, n’ayant aucun mal à s’occidentaliser en France, refusant tout net d’évoquer leur ancienne vie si proche et pourtant déjà si loin, et encore moins, un éventuel retour.
Donne-moi vite de tes nouvelles, ou mieux, reviens.
Au début, Yvan écrit à Léna, comme si elle était partie en vacances et que son retour était imminent. Mais les jours et les mois passent, sans nouvelles d’elle. Le chagrin dû au manque laisse place à l’incompréhension, à la colère. Il lui faudra attendre vingt ans pour la revoir enfin.
De son côté, Léna tente de faire sa vie à Cherbourg, puis à Paris, noyant sa peine dans les livres, ses plus grands consolateurs, souffrant de cet exil sans pour autant arriver à mettre de mots sur sa douleur.
Elle lisait comme on respire. Par soif, par nécessité. Le plaisir était là aussi. Elle refermait chaque livre, comme on quitte des amis.
J’ai aimé le rapport d’Yvan à la Nature, sa manière de décoder ses messages. Elle le réconforte comme les livres consolent Léna, avec chaleur et délicatesse, sans faire de bruit.
Au loin, la nature émit une plainte contenue : elle connaissait la faiblesse et la folie des hommes.
Ce livre a la grande originalité de nous faire vivre une histoire d’amour fauchée au cœur d’une tragédie, que nous connaissons surtout aujourd’hui en tant qu’accident, de catastrophe sans précédent, de preuve des dérives du nucléaire, sans vraiment avoir conscience que des destins, des vies en ont été les premières victimes.
Alexandra Koszelyk nous plonge tout entier, avec pudeur et justesse, dans leur drame. Dans l’histoire d’un amour insondable, inoubliable. Dans l’histoire d’un amour irradiant, éternel, tragique et beau.
Un beau premier roman et une autrice à suivre – et pas que sur les réseaux sociaux !