Pour ma première Interview sur le blog, j’ai eu la chance de discuter avec Richard Apté qui vient de publier un très beau premier roman aux Éditions Baker Street, Le Temps Arrêté. Pré-sélectionné pour 7 prix littéraires (et notamment les Prix Alain Fournier, Céleste Albaret, Notre Temps, Jeunes Mousquetaires), il traite avec émotion, parfois légèreté et toujours avec justesse, le thème de la fin de vie et du pouvoir de la Littérature.
[Votre maman] peut en avoir pour quelques jours. Elle ne passera pas la semaine. C’est fini, je suis désolée.
La sentence du médecin tombe comme un couperet. Afin de réaliser la dernière volonté de sa mère, le narrateur de l’histoire met sa vie en suspens pour venir, chaque jour, voir sa mère et lui faire la lecture de ce monument de la Littérature Française qu’est La Recherche du Temps Perdu de Marcel Proust. Une semaine pour lire plus de 4200 pages ? Il est prêt à le faire pour sa maman qu’il aime tellement.
Les heures et les jours passent, les pages se tournent, les tomes se referment, et sa maman est toujours là. Comment est-ce possible ? Par quelle magie La Recherche réussit-elle à maintenir sa mère en vie ? Fasciné, heureux, et en même temps, angoissé, appréhendant le jour où il devra mettre un point final à sa lecture à voix haute – chaque nouvelle page lue étant comme une unité de temps perdue -, le narrateur parvient à trouver un stratagème pour obtenir quelques « bonus » de vie…
Je vous laisserais le découvrir en vous emparant de ce roman plein d’émotions, plein de l’amour infini d’un fils pour sa mère, portée par une écriture singulière, musicale, qui ne tombe jamais dans l’odieux écueil du pathos.
L’écriture de Proust nous a redonné une langue pour parler entre nous, une autre langue que celle qu’on parle ici et que celle qu’on parlait jusque-là, ma mère et moi.
Pourquoi La Recherche du Temps perdu ? Était-ce une évidence de choisir ce livre comme remède ou avez-vous hésité avec un autre ouvrage ? Et si oui, lequel ?
Non, je n’ai pas hésité avec un autre ouvrage dans la mesure où l’idée est justement venue de la Recherche du Temps Perdu. J’ai commencé à écrire ce texte il y a six ans, quelques mois après la mort de ma mère. Le sujet du roman est venu d’une conjonction d’idées, mais aussi d’une contradiction, d’une tension : de la mort de quelqu’un qui agonise à l’hôpital et qui a, d’après les médecins, un temps limité à vivre et parallèlement, d’une oeuvre qui met des mois, voire des semaines à être lue.
Musique et écriture semblent pour vous indissociables, à en juger par votre style. Avez-vous une sorte de Gueuloir, comme Flaubert, pour tester la mélodie des mots que vous employez ? Pour faire jouer les mots comme des notes ?
Non, je n’ai pas de Gueuloir, je ne lis pas mes phrases à voix haute. Au départ, je suis contrebassiste de jazz et je pense qu’inconsciemment, cela imprègne ma façon d’écrire ou, en tout cas, ma façon de vouloir écrire et de revenir sur mes phrases. Certaines phrases viennent toutes constituées, et pour les autres, quand je les construis, c’est vraiment ce que j’entends qui compte, je me dis toujours qu’il faut que ça sonne. La littérature qui me touche, c’est la littérature qui me touche au niveau sonore, qui est musicale. Et Proust, ça sonne, évidemment.
Pour vous, les livres et la musique ont-ils le pouvoir d’étirer le temps, au sens propre ?
Ce livre est avant tout l’histoire d’une conviction, celle que le fils a de pouvoir prolonger le temps grâce à La Recherche. Est-ce que vraiment la littérature peut prolonger le temps, je ne sais pas, mais ce qui est sûr, c’est qu’elle le dilate. Je pense à une nouvelle de Cortázar qui s’appelle L’Homme à l’affût dans laquelle le personnage principal est assis dans le métro parisien, en train d’être traversé par des milliers de pensées hyper profondes. Il est tellement bouillonnant de pensées qu’il ne se rend pas compte qu’il a simplement fait deux stations. En l’espace de celles-ci, et donc en deux minutes environ, il a été submergé par tellement de choses que c’est comme si le temps s’était arrêté. La musique, la lecture et l’écriture ont ce pouvoir de dilater le temps, selon moi. Quand on écrit, le temps n’existe plus. Mais pour ce qui est de prolonger la vie, on aimerait y croire… Comme le personnage principal.
Qu’est-ce-qui fait chez Proust, pour vous, cette magie qui permet de dilater le Temps ?
Ce qui est paradoxal chez Proust, c’est qu’il nous arrache à nous-mêmes, nous fait rentrer dans une bulle de temps, et qu’en même temps, il écrit comme s’il nous parlait les yeux dans les yeux. Ce qui est hallucinant chez Proust, c’est qu’il parle de nous et qu’il nous parle presque comme un confesseur. Son oeuvre c’est de la fiction, de la philosophie, de la religion, de la Spiritualité même. Proust, c’est, quelque part, plus que de la Littérature, pour moi.
Avez-vous été inspiré par votre histoire personnelle pour composer cette histoire ?
C’est surtout mon imprégnation de Proust qui m’a inspiré. La seule chose un peu autobiographique, c’est le parcours du jeune homme qui arrête tout du jour au lendemain, tellement il est happé par cette lecture. Il m’est en quelque sorte arrivé cela quand j’étais étudiant. À 21 ans, alors que je m’apprêtais à passer un concours, je me suis fait une entorse en allant prendre le RER, j’étais immobilisé pendant trois semaines et c’est à ce moment-là que j’ai vraiment commencé à lire Proust. J’ai commencé pour ne plus m’arrêter et j’ai passé une année à ne lire que lui.
À aucun moment, on ne tombe dans le pathos dans ce récit. Comment avez-vous fait pour maintenir cette distance dans le traitement d’un sujet aussi difficile que la fin de vie ?
C’était vraiment un but en soi de ne pas tomber dans le pathos. On est déjà entouré par tellement de pathos, que ce soit dans les médias ou à la télévision, que je voulais à tout prix éviter ça. J’ai été aidé par le personnage de la mère, très inspiré de la mienne, et par les rapports entre les deux personnages, également très inspirés de ceux que nous avions. Je savais que l’opposition entre les deux personnages pouvait avoir un effet comique, avec d’un côté la mère, un peu pincée, un peu guindée et vieille France, et ce fils un peu chevronné, qui la connaît par coeur. Je sentais ce potentiel comique dans les réparties, dans leur façon d’aborder chacun des questions et d’y répondre.
« Ça se passe comme ça avec les livres : on en lit un, qui vous parle d’un autre et on se retrouve avec une pleine bibliothèque à pas savoir où donner de la tête. » Y’a-t-il un livre qui vous a mené à la Recherche ? Ou est-ce elle qui vous a trouvé ?
Le premier tome Du côté de chez Swann était dans la bibliothèque de mes parents, dans une édition Folio, je me rappelle, avec un dessin dessus. J’ai vraiment commencé à lire à mes 16-17 ans, à partir du BAC en fait avec Mauriac, mais aussi, avec ce premier tome vers lequel à chaque fois, je revenais, comme le personnage du livre, finalement. La première fois, j’ai lu 5 pages que j’ai trouvées géniales, mais je ne sais pas pourquoi, j’ai arrêté ma lecture. Tous les trois-quatre mois, j’y revenais. C’était comme un appel. Puis quand j’y suis revenu pour de bon, je suis tombé dedans, comme dans un gouffre, un appel d’air, et je n’en suis plus jamais sorti.
Quel est votre plus grand coup de cœur de tous les temps, hormis La Recherche ?
Bartleby de Herman Melville. C’est absolument génial, je l’ai lu pas mal de fois, c’est très court, et en même temps, c’est infini. Des auteurs comme Julio Cortázar et Henry James me fascinent aussi beaucoup.
Un premier roman est un véritable pari. Vous avez été étroitement accompagné par votre maison d’édition, et en particulier, par Domitille Carlier : pouvez-vous me parler de cette première expérience d’accompagnement éditorial autour de votre texte ?
J’ai envoyé mon manuscrit à une dizaine de petites maisons d’édition et Bakerstreet a fait partie de celles à avoir répondu positivement. Quand j’ai rencontré l’équipe à leur bureau, ce qui était assez hallucinant, c’est que Domitille le connaissait déjà par coeur. Tout le travail autour des corrections et de la mise en page s’est fait avec elle (un travail passionnant et une découverte pour moi). Avec l’éditrice, elles m’ont donné des pistes pour développer certaines parties qui leur semblaient obscures afin que je les clarifie, dans la tonalité du texte – à la base, le livre faisait 40 pages de moins. Grâce à ces conseils éditoriaux, j’ai repris le texte, je voyais par endroits des interstices entre les phrases, où je pouvais encore en glisser d’autres. Certains des passages écrits plus tardivement comptent d’ailleurs parmi ceux que les lecteurs aiment le plus. Elles m’ont également accompagné pour « l’emballage », ainsi que ma compagne, dans la recherche du titre et de la couverture, par exemple.
Ce travail éditorial m’a ouvert des pistes pour d’autres textes, m’a vraiment débloqué. Quand j’écris maintenant, je me demande ce qu’il me manque pour que ce soit vraiment satisfaisant, on s’interdit beaucoup de choses en fait, dans l’écriture.
Un deuxième roman en cours ?
Potentiellement, j’en ai même 400 en cours ! Il y en a un qui est presque, presque finalisé, et un autre que Domitille a lu, d’ailleurs, et a aimé. Elle m’a fait part de ses remarques qui sont une aide précieuse pour donner toute sa dimension possible à un texte.
Un grand merci à Richard Apté de m’avoir accordé cette superbe interview et à son éditrice de l’avoir organisée !