Ce soir-là, au Théâtre de la Contrescarpe, j’ai fait une rencontre : celle d’un homme multiple et complexe. Celle d’un philosophe politique, d’un écrivain, d’un poète, d’un intellectuel engagé, d’un militant socialiste, d’un fervent catholique, d’un dreyfusard, d’un soldat mort pour la France en 1914. Celle d’un visionnaire. Celle de Charles Péguy.

Nous voici dans le salon de Charles Péguy. La pièce s’ouvre sur l’arrivée d’un journaliste qui souhaiterait l’entendre parler de sa vie, afin de pouvoir rédiger un article sur lui pour un média qu’il ne nomme pas. C’est le point de départ de fréquents allers-retours dans le passé et le présent : tout d’abord, dans son enfance, à Orléans– ville dont Jeanne d’Arc est un symbole, une figure qui aura une importance énorme dans sa vie – où il a grandi avec sa mère, rempailleuse de chaises, et sa grand-mère. Puis, à ses 12 ans, lorsqu’il étudiait à l’école primaire de l’École Normale des Instituteurs : une année fondatrice dans la mesure où un de ses instituteurs, fasciné par la maturité d’une de ses rédactions, l’a repéré et a fait en sorte qu’il obtienne une bourse pour aller au Lycée. Grâce à lui, il a ensuite intégré l’École Normale Supérieure au Lycée Lakanal de Sceaux où ses idées socialistes ont continué à faire leur chemin. À travers un nouveau saut dans le temps, nous atterrissons dans la librairie socialiste qu’il a créée dans le quartier Latin, rue Cujas, et dans laquelle il accueillait Lucien Herr ou encore Léon Blum : dans ce nouveau retour en arrière, il reçoit la visite d’un homme qui partage ses idées, pendant que dehors, des anti-dreyfusards scandent des slogans antisémites. Nous sommes enfin projetés lors d’une réunion de la création de ses Cahiers de la Quinzaine, revue dans laquelle il publiera ses écrits quatorze-années durant, mais aussi ceux d’autres écrivains comme Romain Rolland ou André Suarès.
Ce seul-en-scène m’a absolument passionnée. Le recours au procédé des allers-retours donne un rythme dynamique à la pièce et ceux-ci sont savamment matérialisés par des jeux de lumière et de sons. Quant à la performance du comédien, j’ai été bluffée. Bertrand Constant incarne seul les personnages qui gravissent autour de Charles Péguy – et il sont nombreux ! Avec une grande économie de moyens et sans jamais trop en faire, il arrive véritablement à les incarner en leur donnant des traits caractéristiques, un ton, un accent, un tic de langage – mention spéciale pour l’irrésistible accent du visiteur du Sud et la très drôle interprétation de l’odieux Mandat, contributeur à l’Action Française, car oui, en plus, l’humour n’est pas absent de ce biopic !
Le texte est superbement écrit. Les tirades sur le socialisme, sur la foi, sur sa colère envers Jean Jaurès et sur la guerre sont flamboyantes, clamées avec émotions et sincérité.
Si vous n’êtes, comme c’est mon cas, ni familier de son parcours ni de son oeuvre, vous trouverez dans ce spectacle (en 1h10 seulement !) un bel aperçu de la vie et de l’homme complexe – même si toutes ces facettes ne sont pas représentées, comme son nationalisme – qu’était Charles Péguy.
J’ai pu voir ce spectacle grâce à un partenariat entre le blog Baz’art et le Théâtre de la Contrescarpe.