« Tokyo vice » de Jake Adelstein

« Tokyo Vice » : un titre qui en dit long sur une ville gangrenée par une pègre qui contrôle tout de l’industrie du sexe et de la drogue au crime organisé et au trafic d’êtres humains, et dont les tentacules empoisonnées s’étendent jusqu’à l’immobilier, la banque, la construction, la finance… Personne ne voudrait mettre son nez là-dedans. Personne, à part Jake Adelstein, jeune américain qui entame, à seulement 24 ans, sa carrière de journaliste dans le plus grand journal japonais, le Yomiuri Shinbun.

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Très vite plongé dans le bain, il va découvrir qu’à l’ombre du Soleil Levant se cache une mafia terriblement puissante, à la tête d’un empire qui donnerait même le vertige à un habitué des skyscrapers. Et pourtant, Jake Adelstein, ne va pas hésiter à enquêter sur des terrains qui s’avèrent être de redoutables nids de guêpe.

On plonge, au même rythme que notre journaliste-enquêteur, dans une réalité qui nous dépasse, nous heurtant nous aussi à une justice et à une police qui ferment obstinément les yeux et à des médias qui tremblent de toutes leurs feuilles à l’idée de publier des articles accablant les yakuzas. Rien ne décourage pour autant notre journaliste-enquêteur qui mène ses enquêtes à bras le coeur, défendant la prostituée et l’orphelin, jusqu’à risquer gros pour lui et sa famille. Car même si certains yakuzas semblent trouver en lui un interlocuteur privilégié, il va vite devenir dérangeant, un peu trop fouineur, un peu trop curieux…

Malgré nous, notre recul, à l’instar de celui d’Adelstein, devient de plus en plus difficile à appréhender. Comment, en effet, ne pas trembler en lisant le récit de ses descentes au Kabukicho, plus grand quartier rouge de Tokyo, où pédo-pornographes et macs se côtoient comme le feraient deux commerces de quartier ? Comment ne pas enrager devant le destin de ces étrangères qui ont tout quitté pour un travail loin, très loin de leurs espérances ?

J’ai adoré le caractère de ce journaliste honnête, au sang-froid admirable, qui enquête sans jamais tomber dans les vices de Tokyo, ne se laissant jamais tenter par le sexe ou la drogue. Son ton irrésistiblement caustique et sa répartie m’ont aidée à traverser des récits parfois à la limite du supportable, tout comme sa malicieuse lucidité : comment ne pas sourire, lorsqu’il contemple ainsi les résultats de son travail acharné : « à la fin, Justice fut rendue. Plus ou moins. »

Tokyo Vice est un OLNI : un Objet Littéraire Non Identifié pour son fond, qui oscille entre le roman d’apprentissage, le thriller et l’enquête policière. Un OLNI aussi, pour sa forme, si ce n’est pour « son design ».

Un OLNI qui fascine pour son fond et pour sa forme, avec un récit à couper le souffle, dans lequel on ne s’ennuie pas une seconde, une couverture superbement pensée et une traduction brillante (chapeau à Cyril Gay !).

Un grand bravo aux Éditions Marchialy qui ont vu juste en publiant ces « mémoires » et qui ont créé cet objet littéraire désormais identifiable.