« C’est le coeur qui lâche en dernier » de Margaret Atwood

Vous en avez assez de vivre dans votre voiture, sans aucun confort, sans aucune hygiène de vie ? De vous tuer à la tâche en enchaînant des petits boulots sordides et mal payés ? Rejoignez Positron ! Ce royaume merveilleux où vous sera offerte la possibilité d’habiter dans une belle maison toute équipée, avec des serviettes propres et chaudes au sortir du bain, un vrai lit avec des oreillers moelleux bien plus spacieux qu’une plage arrière ! En échange ? Oh, pas grand chose… Votre liberté.

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Lorsque Charmaine découvre un spot publicitaire vantant ce paradis qu’est Positron, elle est hypnotisée : aucun doute, c’est à elle qu’il s’adresse. Depuis des mois, elle et Stan dorment dans leur voiture, vont de parkings en parkings avec l’angoisse de se faire tirer de leur sommeil à tout moment par des voyous, ou pire, par la police. Leur couple, fatigué de cette vie d’errance, bat de l’aile. Positron apparaît comme leur seule chance de s’en sortir, quitte à accepter toutes les conditions que cela implique, comme par exemple : ne pas chercher à en sortir, partager sans faire de difficultés sa maison avec un Alternant – sorte d’alter ego qui reprend la vie de l’un là où l’autre l’a laissé -, changer d’emploi tous les mois et travailler soit en prison, soit pour la ville, faire des tâches aussi diverses et variées que coudre des yeux à des centaines de nounours bleus ou, tout bonnement, injecter des doses létales dans le corps d’indésirables -, et, last but not least, ne pas faire de chichis lorsque l’on est filmé par des caméras. Renoncer à sa liberté au nom d’un certain confort, n’est-ce pas un compromis honorable ?

Prenez un peu de fantastique, de science-fiction, de dystopie, mettez le tout quelque part entre « Silo », « Le meilleur des mondes » et « 1984 ». Secouez bien et rajoutez ce qu’il faut d’humour, de cynisme, d’absurde et de rocambolesque pour que cela devienne supportable. Laissez reposer et vous obtiendrez « C’est le coeur qui lâche en premier » de Margaret Atwood.

J’ai beaucoup aimé ce livre, même si j’ai eu beaucoup de mal à rentrer dans l’histoire et dans ce drôle d’univers, mi-léger, mi-étouffant. C’est seulement au moment où Stan découvre le petit mot de Jasmine à destination de Max – leurs Alternants respectifs – marqué d’une trace de rouge à lèvres fuchsia et d’un non moins équivoque « Je suis affamée de toi » que la machine va véritablement commencer à s’emballer et que l’intérêt du lecteur va se réveiller d’un coup, comme un éléctrochoc. Je me suis laissée entraîner par l’histoire, manipuler presque, à l’image de Stan et Charmaine aux mains des dirigeants de cette prison dorée.

Margaret Atwood a réussi à créer un véritable univers qui, même si on peine à y pénétrer, finit par nous englober tout entier. On passe de scènes glaçantes à des scènes hilarantes – mention spéciale pour les scènes d’amour entre Veronica-Marylin Monroe et son nounours adoré et celles où Stan se transforme en Posibot à l’effigie du King pour échapper à Positron. Je me suis beaucoup attachée au couple de Stan et de Charmaine, et aussi, étrangement, à un personnage très secondaire, celui de Mémé Win. Charmaine y fait toujours référence avec nostalgie et bienveillance, elle apparaît comme une petite lueur prodiguant bons conseils et réconfort, dans les pires situations…

Merci beaucoup Babelio de m’avoir (encore) gâtée et aux éditions Robert Laffont !